Les femmes courageuses du Sénégal – une mise à jour après 10 ans (par Ingeborg Pint)
Il y a exactement dix ans, après une série de voyages impressionnants au Sénégal que j'ai eu le plaisir d'accompagner, j'ai dressé les portraits de quatre femmes qui, pour moi, ont été exemplaires dans différents domaines, montrant que les femmes au Sénégal prennent leur destin en main et suivent un chemin indépendant et engagé. Lors d'un voyage qui vient de s'achever, j'ai pu, avec le groupe que j'accompagnais, rendre visite une fois de plus à deux de ces femmes courageuses et me rendre compte de l'évolution de ces dix dernières années.
Binta Wane et les femmes de Kamb
La présidente du groupe « Union des Femmes pour le Développement Endogène de Kamb », Binta Wane, et son équipe se sont sensiblement professionnalisées. Leur travail et leur engagement sont devenus plus visibles, tant dans leur environnement immédiat qu'auprès d'organisations nationales et internationales qui ont entre-temps également apporté leur soutien. Par exemple le PNUD, le Programme des Nations Unies pour le développement et l'organisation sénégalaise ENDA. Grâce à ce soutien, un puits d'environ six mètres de profondeur et deux pompes ont pu être installés. En 2020, les systèmes d'arrosage et d'irrigation goutte à goutte, financés par un sponsor privé, ont été mis en service.
Le périmètre cultivé par les femmes a pu être étendu, il s'agit actuellement de trois hectares sur lesquels poussent une grande variété de légumes. Les arbres fruitiers fournissent des mangues, des papayes et quelques variétés de fruits indigènes et ont un effet bénéfique sur le climat. L'engagement des femmes pour la production d'aliments sains et la protection de l'environnement ne faiblit pas, même si elles reconnaissent que le travail devient plus difficile avec l'âge ; les arrosoirs, encore utilisés ponctuellement, ne sont plus remplis qu'à moitié, pleins, ils seraient trop lourds. Les femmes ont tout de même la possibilité de recruter de jeunes gens pour les travaux difficiles, et de temps en temps, des étudiant/e/s viennent au jardin pour leurs études et peuvent aider.
Le travail des femmes devient également plus difficile en raison du changement climatique : il pleut plus irrégulièrement qu'il y a quelques années et souvent si fort que le terrain est inondé. Pendant la saison sèche 2022/23, c’est-à-dire pendant l'hiver européen, il est encore tombé tellement de pluie que le travail n'a pu commencer qu'en janvier. Le changement climatique se fait donc fortement sentir. Les femmes sont désormais conscientes de ces phénomènes et savent les thématiser.
Le groupe a cependant un problème de relève : les filles des femmes qui travaillent actuellement sont peu intéressées par ce travail difficile. D'autre part, il existe désormais cinq groupes de femmes dans la forêt de Mbao, réunis sous l'égide des femmes de Kamb. La forêt de Mbao, le « poumon vert » de Dakar, a été gravement affectée par la construction d'une autoroute et d’une ferroviaire express. Le travail de toutes ces femmes est d'autant plus important. Il contribue à l'augmentation de la biodiversité et à la protection du climat. Des spécialistes du Programme des Nations Unies pour le développement conseillent les femmes en matière de méthodes de culture et de commercialisation. Dans le cadre de son Programme de développement, l'ONU a également délégué des stagiaires pour soutenir les femmes pendant la pandémie.
L'importance du travail des femmes pour la préservation ou la restauration d'un écosystème et l'amélioration des conditions de vie de la population est donc pleinement reconnue et soutenue. Ce n'était pas le cas dans une telle mesure il y a dix ans.
Peinda Faye et le Centre de Formation Professionnelle et Écologique Alioune Diagne Mbor (CFPE) près de Saint Louis – des jeunes femmes sur le chemin de l'autonomie
Les contacts des Amis de la Nature européens avec Peinda Faye et son groupement de femmes Koom-koomjaboot Gi (Réseau de femmes pour le développement économique et social) remontent à l’année 2009. Grâce aux dons d'un groupe de voyageurs Amis de la Nature, un petit magasin a pu être installé à Saint-Louis (Nord du Sénégal), dans lequel les femmes vendaient les jus, les confitures et les vêtements qu'elles produisaient.
Depuis, des changements énormes sont intervenus. Sous l'impulsion des Amis de la Nature de Saint-Louis (dirigés par Peinda Faye) et en étroite coopération avec les Amis de la Nature de Rastatt (Allemagne), dirigés par Uschi Böss-Walter, ainsi que grâce à de nombreux donateurs engagés, une garderie a pu être construite entre 2011 et 2013 à Bekhar, près de Saint-Louis. Les femmes qui travaillent dans les champs (de sel) environnants ont ainsi la possibilité de faire garder leurs enfants par des professionnels. Dans l'établissement, les enfants reçoivent une alphabétisation de base et des repas. Les jeux et le divertissement ne sont pas oubliés.
Mais ce n'est pas tout : sous l'impulsion de Peinda Faye et des Amis de la Nature de Rastatt, sous la direction d'Uschi Böss-Walter, est né l’idée de créer un centre de formation pour jeunes femmes et jeunes filles. Ceci face aux conditions de vie précaires des familles de la région, en particulier des filles et des femmes. Ce plan a pu être réalisé grâce à un financement à 75% par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement, et le Centre de formation a été construit en 2017/18.
Le centre propose une formation de trois ans dans les domaines suivants : cuisine et restauration, couture, teinture, transformation de fruits et légumes et coiffure. Outre cette formation technique et professionnelle, le centre propose également des cours d'alphabétisation et, dans le cadre d'unités d'enseignement spéciales, la transmission de connaissances écologiques.
Peinda Faye a été la cheville ouvrière de toutes les phases de planification et de mise en œuvre du projet et reste la principale responsable du bon fonctionnement du centre. Elle est la présidente des Amis de la Nature de Saint-Louis, conseillère municipale et une militante engagée pour l'éducation et l'autonomisation des femmes. L'amélioration des conditions de vie de la population de sa commune lui tient à cœur, et c'est pourquoi elle tient également à aider les diplômées du Centre à trouver des stages et des emplois.
La formation pour environ 150 jeunes filles et femmes a débuté en octobre 2018, et les premiers diplômes de fin d'études ont été remis aux jeunes femmes en 2021. Depuis, la formation se poursuit et un atelier de couture a été mis en place. Les femmes peuvent également y vendre les produits qu'elles ont fabriqués, par exemple des vêtements, des savons, des jus de fruit, etc.
Il a vraiment fait plaisir de voir les jeunes filles et femmes au travail dans les différentes salles de cours et de se voir servir des échantillons des plats cuisinés dans la cuisine d'apprentissage. Le plaisir de travailler et la fierté de pouvoir présenter ce que l'on a appris à un groupe d’Européens étaient clairement perceptibles.
Ainsi, en très peu de temps, quelque chose a vu le jour qui contribue durablement à l'amélioration de la situation des femmes dans les villages et donc de l'ensemble de la population villageoise. Même si le financement est venu principalement d'Allemagne, rien de tout cela n'aurait été possible sans Peinda Faye et son groupement de femmes.
Le projet ouvre des opportunités qui sont effectivement saisies. Il n'est pas évident dans les zones rurales du Sénégal que des parents proposent à leurs filles une formation à des métiers d'avenir au lieu de les envoyer travailler dans les champs de sel, dans des conditions extrêmement difficiles et dangereuses pour la santé, ou que des jeunes filles et femmes choisissent elles-mêmes la voie de cette formation pour s'émanciper – toutes ces jeunes filles et femmes constituent une nouvelle génération de « femmes courageuses ».
Le rôle des femmes dans le projet « Arbres fruitiers pour les villages sénégalais ».
Lors de notre voyage, nous avons également rendu visite à des villages du nord du Sénégal, où la plantation d'arbres fruitiers dans les concessions familiales a été soutenue dans le cadre du Fonds des Amis de la Nature pour le climat. Ici aussi, les femmes jouent un rôle important : ce sont elles qui s'occupent de l'entretien des arbres, qui vendent les fruits récoltés ou qui les utilisent elles-mêmes (directement de l'arbre ou après les avoir transformés). Elles contribuent ainsi au revenu familial, les fruits fournissent une nourriture saine et les arbres donnent de l'ombre, ce qui améliore le climat dans les villages. Nous avons pu rencontrer un grand nombre de ces femmes dans les villages de Lobodou, Doué et Dimatt et demander à certaines d'entre elles quelle eset l'importance des arbres fruitiers pour elles :
Faty Hamadi Sall, Loboudou
« J’aime les arbres parce qu’ils ont un rôle viable pour nous. En plus de nous nourrir, les arbres fruitiers constituent une pharmacie naturelle pour nous. J’arrose mes plantes jour et nuit et les enrichis régulièrement de fumure afin qu’ils grandissent et puissent bénéficier à tout le monde. » Regarder la vidéo
Mariam Watt, Doué
« Je suis native de Doué. J’y ai grandi et me suis mariée ici. J’aime les arbres. C’est vraiment ma passion. Il m’arrive de rêver des arbres la nuit, tellement je les aime. Partout où je vais je ne parle que de ça car je veux que tout le monde plante des arbres et s’en occupe. Cependant nous rencontrons quelques problèmes liés à la qualité du sol, mais nous persistons dans nos efforts pour trouver des solutions afin que les arbres grandissent normalement. Nos plants sont repartis entre nos champs et nos concessions. » Regarder la vidéo
Les portraits des femmes 2013: sur le respect_NFI tourism_LOG